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L’inclusion scolaire : un droit et une affaire d’équipe !

Commentaire #9

By Sophie Pitre-Boudreau, Enseignante de français 7e année, Directrice adjointe @ École communautaire Le Domaine Étudiant, Petit-Rocher, Nouveau-Brunswick, Canada.

Le mois dernier, nous avions une soirée de poésie pour les parents des élèves de la 7e année et la communauté. Je vous assure qu’il n’y avait pas beaucoup d’yeux sèches dans la salle lorsque Gaétan s’est levé pour aller chercher ses trois jetons (sa récompense) au lutrin, qu’il s’est mis à réciter son poème devant la salle, une main lui bouchant une oreille et de l’autre en tenant son micro comme le plus précieux des bijoux. Son poème était le suivant :

Depuis son entrée en maternelle, Gaétan a toujours suivi son groupe d’âge. Une assistante en éducation exceptionnelle travaille étroitement avec lui, il va en classe avec tous ses amis, il aime bien les chatouilles et les « co-colle ». Lorsqu’il est fâché, il crie. Il crie très fort. Lorsqu’il se met à crier, les adultes autour qui ne le connaissent pas s’empressent habituellement à aller voir qui est blessé, tente de savoir comment l’apaiser pour ne pas déranger l’école, pour ne pas déranger les élèves. Ironiquement, lors de son entrée dans ma classe de 7e année en septembre, j’étais celle qui s’est questionnée lors de son premier épisode de frustration. Ses cris perçants, qui ont duré près de 20 minutes, m’ont d’abord stressée. Je regardais tout autour, mon groupe d’élèves apprenait tout juste à me connaitre. Moi qui ai une discipline solide, qui exige toujours le meilleur de chacun d’entre eux, allaient-ils penser que je perdais le contrôle de ma salle de classe déjà, dès la première semaine de septembre ? En observant les élèves un à un, en tentant de me remémorer chacun de leurs diagnostiques : trouble d’attention avec hyperactivité, trouble de la vue, malentendante, dyslexie, dysorthographie, trouble d’opposition, trouble d’apprentissage non spécifié, etc., j’étais bouche bée de remarquer qu’ils poursuivaient le travail. Comment était-ce possible? Ils ignoraient complètement le comportement, tous sauf trois. Ces trois élèves, qui nous arrivaient d’une école avoisinante, n’avaient pas eu le privilège d’avoir, pendant leurs sept années d’éducation, des élèves atteints d’autisme sévère en salle de classe. C’est en observant un peu plus attentivement ces nouveaux élèves et leurs réactions que je constatais, encore une fois, à quel point l’inclusion scolaire était bénéfique à court et à long terme pour tous les élèves. À la fin du cours, j’ai voulu faire un retour avec ces trois élèves, mais l’un d’entre eux m’a répondu : « C’est bon, Alex m’en a parlé et m’a expliqué. » Alex est le sportif de ma classe, mon leadeur, mon solide. Il a pris de lui-même de discuter avec eux alors qu’ils travaillaient en équipe. Qu’est-ce qui a été dit ? Je n’en sais rien, mais une chose est certaine, un message passé par un ami est toujours mieux reçu que lorsque transmis par l’enseignante. Suite à l’intervention d’Alex, jour après jour, semaine après semaine, les nouveaux arrivants se sont adaptés à la routine, au ricanement de Gaétan en salle de classe et à ses écholalies, parfois en ignorant, parfois en riant de bon cœur avec lui.

À notre école, le travail d’équipe et les remises en question font partie de notre quotidien. Il y aura toujours des questions, toujours des inquiétudes et des barrières à casser, mais notre équipe aime bien les défis. Certains d’entre nous avons des spécialités soit en autisme, soit en enseignement ressource, d’autres, par le hasard des circonstances, on vécut une variété d’expériences en milieu scolaire, mais tous ont un point en commun : le vouloir et la conviction que chacun des enfants ait droit à un apprentissage de qualité et a le droit d’être avec ses amis. On le se le cachera pas, ce n’est pas toujours facile, tout comme élever un enfant, mais est-ce qu’on va abandonner pour autant ? Lors d’une formation il y a plusieurs années, une femme disait : «  Si tu planifies un voyage en famille, vas-tu partir sans un de tes enfants ? Alors lorsque tu planifies ton enseignement, tu dois planifier pour tous tes élèves. » On se questionne, on se requestionne, on se permet de confronter nos idées sur une base régulière. Nous avons remarqué, au fil des années, que chacun a quelque chose à contribuer. Malgré qu’il pourrait sembler facile de se dire qu’on va attendre qu’un spécialiste débarque pour nous aider, la majorité du temps, les solutions viennent de notre équipe puisque ce sont nous, en collaboration avec les parents, qui connaissons le mieux l’enfant, qui connaissons nos réalités, nos limites et nos possibilités. La question fréquente que nous posons : « Qu’avons-nous ici pour appuyer Gaétan en salle de classe, pour appuyer l’enseignant à subvenir à ses besoins académiques dans un contexte inclusif. Que manque-t-il pour qu’il puisse interagir un peu plus avec ses amis en salle de classe? » Chaque enfant est très différent, et chacun a besoin de son plan individuel afin de progresser: c’est beaucoup de travail, mais ce n’est pas une option, on le fait pour tous les enfants qui en ont besoin.

On revoit les plans qui fonctionnent moins, on célèbre les succès que vivent les élèves et on profite d’autant d’occasions que possible pour faire participer chacun des élèves de la salle de classe. Ceci nécessite souvent de la spontanéité de la part des élèves, des assistants en éducation et des enseignants. Par exemple, lorsqu’on travaille les poèmes, on peut lire une comptine que l’enfant aime particulièrement. Ainsi, en français, on travaille l’expression orale avec les élèves, on en profite pour travailler la prise de la parole, le ton et le débit de la voix.

Il y a des cas isolés dans chacune des communautés. Il faut se pencher, ensemble pour arriver à des solutions, dans un délai rapide et raisonnable en faisant confiance en l’expertise de nos enseignants et de nos assistants, en les appuyant, en leur permettant des opportunités de développement professionnel continue. Ainsi, on évite de mettre des diachylons aux défis et on continue à cheminer dans notre domaine pour tous les élèves : l’éducation pour tous n’est pas un défi, c’est notre travail.

Nous sommes dans un monde d’apprentissage, nous ne pouvons pas nous permettre de questionner continuellement : « Qu’est-ce qui arrive si… ». Ce genre de réaction ne fait que limiter le potentiel de nos enfants. Si on questionne : « Qu’est-ce qui arrive s’il tombe? », alors nos enfants n’apprendront jamais à marcher. Au contraire, si on s’arrête et on se questionne : « Qu’est-ce qui serait arrivé si on n’avait pas remis le micro à Gaétan avec ses trois jetons ? » Alors nous n’aurions jamais imaginé qu’il était capable de se lever devant une foule de 150 personnes et de voler la vedette à une soirée que tous se remémoreront à jamais.

Sophie Pitre-Boudreau, Enseignante de français 7e année, Directrice adjointe @ École communautaire Le Domaine Étudiant, Petit-Rocher, Nouveau-Brunswick, Canada.